Les festivités organisées en cette mi-février par la châtelaine d'Amboise ne pouvaient mieux tomber et ce, à divers titres. Pour commencer, elle se trouvait déjà en Touraine, occupée qu'elle était à discuter avec la duchesse Galadryelle et divers autres éminents Tourangeaux à propos d'un traité de reconnaissance de la Garde Episcopale. Ensuite, elle aurait l'occasion de se détendre un peu en compagnie d'une société choisie. Ces derniers mois, elle s'était trouvée plus souvent qu'à son tour entourée de militaires et des gens peu fréquentables, cette pause dans ses activités habituelles serait des plus bienvenues. Et quel plaisir que de revoir une famille pour laquelle elle éprouvait une vive affection et de faire la connaissance de son dernier né! Enfin, elle aurait l'occasion de revoir son neveu qui, pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, était déjà à Amboise et l'avait informée de cette situation par les Louveterie. Elle ne s'était certes pas attendue à voyager avec lui, bien décidé qu'il était à s'ennuyer en Berry. Pourtant, elle se sentait vaguement irritée, il aurait pu prendre la peine de l'en informer lui-même.
Elle soupira et rabattit le petit rideau, masquant ainsi à sa vue le paysage tourangeau. Elle savait bien qu'elle s'était montrée plus que dure avec Håkon depuis qu'il était entré dans sa vie. Cette attitude qu'elle avait adoptée à son égard était à la fois voulue et insconsciente. Voulue car elle-même avait été élevée dans un univers impersonnel et qu'elle estimait qu'elle avait ainsi reçu la meilleure éducation qui soit. Insconciente également car elle était de nature solitaire et avait tendance à faire le vide autour d'elle sans vraiment s'en rendre compte. Sa solitude avait d'ailleurs été renforcée par les événements survenus l'année précédente.
Elle repensa alors à Kreuz qui l'avait invitée à se rendre à Amboise en sa compagnie. C'était la première fois qu'elle y venait et son état d'esprit à l'époque était des plus instables. Récemment séparée de son époux, récemment mère d'une petite fille, elle avait perdu le premier et éloigné la seconde. Elle avait choisi d'être ordonnée et tous ces changements l'avaient irrédiablement affectées. Mais ce séjour avait été heureux, elle avait noué des relations des plus satisfaisantes, participé à une chasse revigorante et assisté à un bal des plus éblouissants. Elle eut une pensée émue pour celui qui avait disparu dans les mines limousines et jeta un coup d'œil à Faunus, endormi dans sa corbeille.
Oui, c'était là une pause des plus bienvenues, elle n'avait que de bons souvenirs à Amboise. Elle songea alors à sa dernière visite, le mariage. Elle avait été touchée que le Sombernon la choisisse comme témoin, euh pardon, témoinE, oui donc, qu'il la choisisse comme témoine. La vie vous réservait parfois des surprises agréables. Elle avait connu Morgwen et Asdru séparément et elle s'était réjouie de leur union à tous deux. D'aucuns murmuraient pourtant que l'Archevêque de Lyon et son Premier Archidiacre étaient plus que des amis et Ingeburge prenait une mine dégoûtée, balayant le ragot d'un revers de la main. Asdru et elle? Ils étaient attachés l'un à l'autre par une franche et saine camaraderie, de celle existant entre des soldats d'une même unité, se lançant piques et sarcasmes, et par leur irrépressible fanatisme à l'encontre des hérétiques de tous poils. Pouah, elle aurait bien voulu savoir qui répandait de telles rumeurs répugnantes afin de lui dire son fait.
Elle rit quelque peu, songeant à tous ces hommes auxquels on l'avait liée. C'était bien mal la connaître, c'était bien mal la juger. Elle se fichait de ces histoires tant que cela n'affectait pas les gens qui comptaient pour elle. Bast! Elle avait sa vertu et son comportement de banquise pour elle, rien de tout cela n'était plausible.
En parlant de comportement, elle avait une nouvelle fois promis de se tenir correctement. Les temps avaient bien changé depuis la première fois où elle avait assuré d'être sage. Elle était devenue plus grave, demeurer coite lui demanderait bien moins d'efforts qu'auparavant.
Et il était temps, les tours d'Amboise apparaissaient, se découpant sur l'azur du ciel d'hiver.
Sa voiture s'immobilisa au poste de garde.
Ingeburge enfila tranquillement ses gants, attendant que les formalités d'usage soient accomplies.
L'un des hommes de son escorte avait mis pied à terre et informait les gardes du château que le Connétable de Rome se présentait à la herse suite à l'invitation envoyée par les ducs d'Amboise.