Pourquoi, au fond, n’avait-il jamais répondu au courrier de la duchesse d’Amboise, lors même qu’il savait exactement quels mots tracer sur le papier qu’ensuite il scellerait de son scel de gueules ? Pourquoi choisissait-il toujours le pire des chemins qui s’offraient à lui ? Pourquoi, en somme, n’agissait-il que pour le malheur de ses proches ou de ceux qui se voulaient tels ? Mais ces questions méritaient-elles encore d’être posés quand, depuis des lustres, tout ce qui conduisait sa vie était le serment fait à un homme aujourd’hui mort devant des frères et sœurs tous, ou peu s’en fallait, retournés à la poussière ? Il avait négligé Ellesya de la Louveterie comme il l’avait fait de Daresha de Riddermarck, de Malycia de Renaix, de Bérénice de Jeneffe ou de tant d’autres encore. À se demander, et cette fois la question trouverait moins aisément une réponse, pourquoi les dames recherchaient encore sa compagnie…
Il avait donc, conscient d’être trop en retard pour écrire un courrier, pris la décision de remettre son sort entre les seules mains de celle qui, de fille de ses amis était devenue son amie et lui avait même offert de devenir son hôte. Comme dans ces vieux romans où le chevalier reconnaît n’être rien hors les yeux et l’estime de sa dame. Il avait souri, le sénescent, de cette pensée, quelque part à l’est du Mans. Comme s’il était vraiment à même de séduire une jeunesse… Certes, Anaelle Shana le lui avait prouvé, mais il mettait cela sur l’idée d’une « fascination » due à leur travail en commun pour le bien des Flandres. Soit quelque chose qu’il n’avait jamais partagé avec la jeune Valkyrie.
C’est pour cette raison qu’il parcourait les dernières lieues le séparant du triomphant château tourangeau vêtu de noir, à la semblance de toute sa troupe. Il ne s’était, cette fois, pas attaché d’écuyer licorneux et choisi de préférer des gens de Marchiennes, à qui il n’était pas obligé d’adresser la parole. Car s’il ne portait plus le deuil du défunt roy, il avait décidé de ne parler à personne tout a long de sa route, comme pour s’imposer ce nouvel inconfort, cette nouvelle pénitence. Nulle bannière colorée flottant au vent donc. Point d’escarboucles ou d’étoiles rappelant ses deux principaux fiefs. Point de Licorne cabrée pour chanter l’Ordre auquel il donnait tout, et souvent le reste. Rien que l’apparence d’un voyageur parmi d’autres.
Depuis plusieurs jours, il allait même couvert d’un profond capuchon masquant ses traits à ceux qu’il pourrait croiser, certain qu’il était que peu à peu les jouteurs se rencontreraient sur les routes menant à Amboise. Il ne voulait avoir à échanger avec eux quelque parole, afin de poursuivre cette punition qu’il s’infligeait, refusant de trouver la joie alors qu’il avait manqué de la plus élémentaire courtoisie.
Ce n’est qu’au « Amboise, mijn heer » lâché par un de ses valets que Guillaume se redressa sur sa selle, afin d’admirer une nouvelle fois la magnifique construction qu’une duchesse avait fait bâtir sur les plans de l’Italien aux caducées dorés. Une terre où il ne savait si, vraiment, il était le bienvenu.
Il fit avancer son cheval jusqu’au poste de garde où il se pencha afin de s’adresser au premier garde qu’il aperçut : « Je suis Guillaume de Jeneffe, et je ne sais si ta maîtresse a prévu de m’accueillir icelieu ».
En fait, il savait qu’une chambre lui était réservée mais il redoutait sincèrement que son silence lui ait coûté plus qu’une participation aux joutes et un séjour dans une chambre du logis ducal, l’amitié d’Ellesya…