Après de longues journées passées en voiture, passant de relais en auberges et d'auberges en relais, Ingeburge arriva enfin en vue des terres d'Amboise.
Elle consulta machinalement un parchemin que lui avait fait parvenir Kreuz. "La Duchesse Morgwen de la Louveterie et le Duc Juliano di Juliani convient la noblesse de France et étrangère... "
Elle avait tout d'abord refusé de faire le voyage, râlant à son habitude, se demandant ce qu'une noble provençale pourrait bien avoir à faire avec des personnes se gaussant de leur petit coin de soleil. Le cardinal avait paru déçu et n'avait plus dit un mot. Il savait que lorsqu'elle était irritée, il était bien vain d'essayer de lui faire entendre raison.
Sans faire part de ses projets à celui-ci, elle avait finalement décidé de venir, se convaincant à grand-peine qu'elle n'avait rien à perdre et que cela pouvait se révéler au final fort divertissant. Le programme était intéressant malgré le fait qu'en tant que prélat, elle ne pourrait participer ni aux duels ni aux joutes. Elle trouverait bien le moyen de se dérider un peu et elle rencontrerait, même si elle en doutait fort, quelques visages connus.
A la suite de son carrosse venaient deux lourdes voitures. Dans l'une étaient entassées les coffres et malles renfermant toilettes, produits de beauté et divers objets d'usage courant. Bien qu'ordonnée depuis peu, Ingeburge n'avait pas renoncé aux goûts des vêtements de qualité et rechiganit à porter comme nombre de ses confrères mitre et soutane, elle trouvait la mode en vogue à Rome passablement hideuse. Dans l'autre voiture avaient été déposées avec grand soin cages abritant un couple de faucons gerfauts et un autre de faucons pèlerins pour la chasse au haut vol, un couple d'autours des palombes et un autre d'aigles royaux pour la chasse au bas vol. Ingeburge s'était prise de passion pour la fauconnerie lors de son inénarrable et désastreux mariage avec ... enfin bref, le nom importe peu.
L'équipage avait ralenti après avoir franchi les grilles du château dont les deux tours cavalières se découpaient fièrement sur le paysage. D'autres voitures aux armes diverses précédaient le train épiscopal qui s'immobilisa bientôt. Un valet à la livrée de Carpentras vint ouvrir la portière tandis qu'un soldat de l'escorte se tenait prêt à aider l'Archevêque.
Ingeburge, enveloppée dans une mante de velours doublée de fourrure de petit-gris, posa sa main ornée de bagues dans celle du garde et mit un fin pied chaussé de cuir de Cordoue à terre. Un capuchon ourlée d'une fine dentelle sombre dissimulait en partie son visage. Elle frissonna, peu acclimatée, malgré ses origines danoises, aux climats frais. Comme un petit chat, elle fit quelques pas afin de s'étirer ses membres quelque peu ankylosés par le trajet puis, précédée de son garde, se présenta à l'accueil. Son soldat annonça :
Monseigneur Ingeburge von Ahlefeldt, Archevêque métropolitain d'Aix, Comtesse de Carpentras, Baronne de Saint-Raphaël, Dame de la Sainte-Baume, de Sainte-Anastasie sur Issole et de la Penne-sur-Huveaune.
Ingeburge, silencieuse, détaillait les lieux du regard se disant que Kreuz serait surpris de la voir en ces lieux.